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[ANALYSE] Pourquoi Glass est un bijou

Les critiques actuelles du film Glass de Shyamalan semblent avoir un consensus commun : le film est mauvais. Et si Glass parlaient en fait d’eux ?

(NDLR : Après notre critique de Glass, qui est pour nous une véritable déception, William, un de nos lecteurs n’était pas d’accord avec nous. Il avait de bons arguments, nous lui avons donc proposé de publier son analyse)

Incassable proposait à l’époque de sa sortie (2000) une relecture du mythe du super-héros. Contexte de sortie qu’il faut rappeler : la licence Superman étaient enterrée, celle du Batman enlisée avant de revenir en 2005, le Spider-Man de Raimi sortirait deux ans plus tard. Bref, le genre super-héroïque amorcé dans les années 90 s’était fracassé, notamment à cause du modèle économique d’Hollywood de l’époque, qui cherchait à maximiser les retombées économiques des blockbusters par la profusion de produits dérivés.

Seul le X-Men de Singer sortait lui aussi la même année, et offrait d’ailleurs une dialectique assez proche : des gens extraordinaires se cachant des autres, et d’abord d’eux-même. James Dunn, le personnage de Incassable, et Wolverine, le personnage principal de X-Men, offre d’ailleurs un parallèle intéressant, puisque leur parcours est sensiblement le même, à savoir accomplir l’impossible d’abord pour leur propre bien-être; Dunn retrouvait sa famille, Wolverine s’en découvrait une; l’acceptation de soi était le moteur des deux récits. Sans parler d’une certaine épuration esthétique volontairement recherchée, loin du grand guignolesque d’un Batman & Robin.

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Split sort en 2017 dans un contexte différent : le genre super-héroïque est revenu, et mieux encore, fonctionne à plein régime, en atteste la succès commercial et critique du Marvel Cinematic Universe par exemple; sans parler de Shyamalan lui-même, qui au début des années 2000 était le chouchou du public et des critiques, avant qu’il dégringole après des échecs successifs dans les années qui suivirent. Comme tout bon cinéaste, Shyamalan utilise d’abord son vécu et ce qui l’entoure : son personnage serait atteint d’un désordre psychologique qui ferait de lui l’hôte de personnalités contrastées, mais celles-ci se cherchant une voix unanime, à savoir la Bête. Y voir une possible concordance avec ce que devait entendre Shyamalan à propos de lui-même, mais aussi avec une une société désormais soumise à divers influences par l’utilisation des réseaux sociaux pour le meilleur et surtout pour le pire, n’est pas à exclure.

Vient Glass. Cette fois, le personnage principal de cette histoire ne serait pas un homme en crise avec lui-même et cherche à s’en dépêtrer, ni un autre qui cherche à surmonter seul sa crise de la manière la plus expéditive.

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Glass
Samuel L. Jackson, James McAvoy et Bruce Willis

Elijah, grand méchant de Incassable, est annoncé comme la figure importante du récit; il n’en sera rien. Ce personnage est atteint de la maladie dite ‘des os de verre’, ce qui faisait de lui l’antithèse de Dunn dans Incassable, son presque mentor pendant une grande partie du film, jusqu’au dénouement que l’on connaît. Mais des trois ‘super-héros’, il est le seul à être vulnérable (à l’extrême); cet handicap (on le voit pendant une partie du film en fauteuil roulant) font de lui quelqu’un de beaucoup plus sensible au regard des autres, et on découvrait dans le premier film sa prédisposition à avoir mal et à faire le mal. Lui aussi cherche l’acceptation de soi, mais déjà il allait recourir à des moyens extrêmes pour arriver à ses fins; il a un peu de Dunn et un peu de la Bête en lui. Cette dualité est renforcée par le fait qu’il n’a pas un pouvoir de force et d’invulnérabilité surhumaine comme ses deux collègues.

Peu après Split, le film sort donc lui aussi dans une époque paradoxale; un sentiment de dépossession culturelle dans un monde fortement globalisé, où les identités sont remises en question chaque jour; alors même que le genre super-héroïque, le dernier-né de la tradition du héros antique mythologique, bat son plein.

Mais les films évacuent la question de l’appartenance, pour proposer un divertissement bien commode. On peut évoquer ainsi l’absence quasi totale de propos du MCU, ou alors de façade, comme Black Panther, qualifié de premier film sur un super-héros noir, oubliant au passage la trilogie ciné « Blade« . À l’inverse, Batman V Superman propose maladroitement quelque chose de différent : Superman a la crime de lèse-majesté d’être Dieu – alors que Superman est une figure solaire au même titre que Héraclès ou Jésus – et Batman reconnaît pourtant son importance symbolique d’espoir; ce qui est assez révélateur, c’est que ce message a laissé de marbre les critiques (et donc les spectateurs, puisque les deux désormais se confondent), qui préfèrent discuter entre experts auto-proclamés sur des points peu intéressants.

En bref, ‘De superman au surhomme’ de Umberto Eco est oublié, on sature toujours plus de morceaux de bravoure des films destinés au plus grand nombre de spectateurs, qui cherchent eux à se vautrer dans des batailles de plus en plus grotesques et totalement déconnectés des enjeux actuels. Exemple criant chez Marvel, le Civil War ciné qui n’a plus rien à voir avec le ‘Civil War’ des comics, qui lui s’interrogeait sur l’état des libertés civiques au nom de la sacro-sainte sécurité. On cherche à rêver, à s’échapper d’un réel devenu rébarbatif, d’un présent sans avenir, quitte à enchaîner des séquences d’émotion au détriment de séquences de réflexion. N’ayons pas peur de dire de grands mots, ce que je décris est le symptôme de la décadence.

UN PEU DE SPOILERS VOUS ATTENDENT

Je disais plus haut que Elijah/Mr Glass n’est pas le personnage principal; car il s’agit en réalité de la psychiatre Stapple, là pour ‘soigner’ les trois super-héros de leurs illusions de grandeur, car contraire à l’ordre, anormal, amoral. On est en plein Nieztche : la morale des faibles prévaut sur la morale des forts incarnée par Elijah, Dunn et la Bête. Ces trois personnages sont des surhommes, de par leur nature et leurs parcours respectifs; il faut les soigner, les isoler, les mutiler. L’exemple frappant est la cruauté calculée de Stapple : Dunn est confiné dans une salle capable de lui opposer son point faible, la sensation de noyade, en remplissant la pièce d’eau; il est prévu que Elijah passe sur le billard pour le traiter d’un point de pression sur son cerveau (ce qui le rend suprêmement intelligent), qui rappelle bien sûr les lobotomies invasives qui ‘calmaient’ les patients à une certaine époque.

Le psychiatre Stapple n’agit en fait pas seule dans ce processus d’apprivoisement, et fait partie d’une société secrète qui reconnaît les super-héros, mais agit depuis des millénaires pour les éliminer. Là où nombre gens y voient une faute de scénario ou une simple maladresse, il faut y voir un symbole : les gens qui estiment ce qu’il y a de bon et de normal, et l’imposent, par la force s’il le faut. Et cachent ensuite la vérité, l’ensevelissent derrière un discours de raison. Tout parallèle avec les pressions de toute obédience n’est pas fortuit…

Incassable

Mais la vérité finit par éclater; Elijah avait prévu à ce que Stapple et ses alliés étouffe définitivement la vérité entourant les trois compères, simplement en éliminant les fauteurs de troubles alors engagés dans une lutte à mort. Les dernières scènes montrent justement la révélation de cette vérité : les gens la découvrent à travers des écrans (smartphones, télévision) dans la gare même où dans ‘Incassable‘ Dunn utilisait sciemment à ses pouvoirs de medium pour découvrir les travers de ses contemporains… Alors que Stapple voit son reflet dans un miroir déformé, procédé qui était utilisé toujours dans ‘Incassable‘ pour suggérer la vision déformée et malfaisante d’Elijah ou mettre Dunn face à ses préoccupations dans la toute première scène.

Le glass, la vitre, le miroir est désormais à la portée de tous; les gens sont désormais face à leurs responsabilités, face à leur incurie, face à eux-même. Et de là à découvrir leur véritable nature : des gens petits dans leurs ambitions et leurs actions, et préoccupés à ce que personne ne les dépasse et fasse mieux (ou pire).

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Glass
Bruce Willis et M. Night Shyamalan sur le plateau de tournage

Et dans le même temps, Shyamalan émet dans son film une contre-critique féroce à ceux qui louaient ses précédentes œuvres mais estiment aujourd’hui son cinéma bien trop facile, basé sur la seule ‘révélation finale’, alors que ce seront souvent les mêmes qui loueront le cinéma actuel – visant particulièrement le genre super héroïque dont il était l’un des régénérateurs – ou tout du moins ceux qui en font la promotion et iront le voir. Il est habituel de voir un caméo de Shyamalan dans un de ses films, et Glass n’échappe à la règle; mais quand celui-ci reprend le rôle qu’il avait dans ‘Incassable‘, pour reconnaître qu’il n’était qu’un malfrat qui avait de mauvaises fréquentations et que désormais ce n’est plus cas, difficile de ne pas y voir un discours extradiégétique sur son parcours jusqu’ici.

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