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Exclusif : Interview avec Julien Chery, animateur 3D sur Predator Badlands

À l’occasion de la sortie de Predator Badlands, nous rencontrons Julien Chery pour une interview exclusive sur son rôle dans l’animation du Predator et les défis techniques du film.

La célèbre créature à la gueule de porte-bonheur revient sur les écrans avec Predator : Badlands. Réalisé par Dan Trachtenberg, déjà à l’origine de Prey, ce septième opus se déroule dans un futur lointain, sur une planète isolée où un jeune Predator, banni de son clan, forme une alliance inattendue avec Thia, un androïde interprété par Elle Fanning.

Présenté comme un film indépendant au sein de la franchise, ‘Badlands’ se distingue par son approche centrée sur le Predator lui-même, désormais protagoniste de l’histoire. Le long métrage explore la culture et le langage de l’espèce Predator, spécialement développés pour le film par le linguiste à l’origine de la langue Na’vi d’Avatar.

Pour donner vie au personnage principal, une combinaison conçue par Studio Gillis a été utilisée, complétée par un travail d’animation numérique destiné à renforcer l’expression du visage du Predator. C’est dans ce cadre que Julien Chery, animateur 3D français, est intervenu aux côtés des équipes d’Important Looking Pirates (ILPVFX). Spécialisé dans l’animation faciale, il a participé à la création des performances numériques du Predator principal, incarné par Dimitrius Schuster-Koloamatangi.

Dans cette interview exclusive, Julien revient sur son parcours, sa contribution au film, les défis techniques de l’animation du Predator et sa vision du métier d’animateur à l’heure où les outils d’intelligence artificielle s’imposent dans les studios.

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Salut Julien, merci de m’accorder cette interview pour Eklecty-City. Peux-tu te présenter et revenir sur ton parcours professionnel dans l’animation 3D ?

Julien : Ça fait 17 ans que je suis dans l’industrie de l’animation, j’ai commencé par le jeu vidéo, j’ai ensuite pu approfondir mon expérience dans plusieurs studios en France, alternant des missions plus ou moins longues, des publicités, des cinématiques de jeux vidéo et des films d’animation. Puis en 2017, j’ai eu l’opportunité de partir travailler à Londres chez MPC sur le remake du Roi Lion de Jon Favreau, c’était une chance à saisir et un premier plongeon dans les VFX. À mon retour, je me suis lancé en freelance sur des projets étrangers avec divers studios, comme Trixter, Cinesite, Rodeo FX… et dernièrement Important Looking Pirates.

Quels projets antérieurs considères-tu comme particulièrement formateurs avant Predator : Badlands ?

Julien : Pour avoir travaillé avec différents studios, que ce soit en France ou à l’étranger, la façon de travailler est à chaque fois différente, il faut savoir s’adapter. En France, j’ai appris à être efficace et à m’organiser dans mes étapes de travail, car les budgets sont plus serrés et donc les délais aussi. Mon expérience à l’étranger, comme à Londres chez MPC, m’a appris à prendre le temps de préparer correctement une animation, à passer du temps à rechercher une bonne référence vidéo, par exemple, avant de commencer une animation.

J’ai surtout appris à bien écouter les retours de mes superviseurs et j’arrive maintenant à mieux percevoir ce qui peut être amélioré dans mes animations, pour réussir à atteindre le bon équilibre entre la créativité artistique et le réalisme voulu pour certaines productions.

Peux-tu détailler ta mission principale sur Predator : Badlands et nous expliquer comment tu as collaboré avec les équipes d’ILPVFX, notamment face aux défis techniques et artistiques rencontrés pour l’animation du Predator ?

Julien : Avec l’équipe d’animateurs d’ILP, nous étions en charge d’animer le visage du Predator principal, en respectant la performance de l’acteur Dimitrius Koloamatangi.

Le principal défi pour l’animation, c’était d’associer les actions du visage humain de l’acteur aux particularités physiques du Predator. Par exemple, les mandibules de la bouche du Predator devaient à la fois réagir à la façon dont l’acteur bougeait ses lèvres supérieures et inférieures, mais le Predator a une bouche sous les mandibules qui devait elle aussi bouger en fonction de la mâchoire de l’acteur. Selon les plans, il fallait jouer avec plus ou moins d’influence sur ces différentes parties du visage.

Dans Avatar (2009), Weta Digital a utilisé la capture de performance pour reproduire les expressions subtiles des acteurs sur les Na’vi. Ce procédé est devenu un standard pour donner vie à des créatures non humaines tout en conservant l’émotion humaine.

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Peux-tu décrire l’organisation type de ton travail sur le film et comment tu planifies tes sessions d’animation ?

Julien : L’acteur portait un masque avec des capteurs qui ont permis aux artistes chez ILP de pouvoir accrocher le visage 3D du Predator par-dessus. À partir de là, nous avions accès à sa performance sur le tournage. Une fois dans le logiciel Maya d’Autodesk, il faut procéder par étapes successives : on part d’une première intention sur l’animation du visage. Je commence par les yeux, car c’est le point d’accroche principal du spectateur, il faut donc rester le plus fidèle possible. Ensuite, je descends progressivement – mandibules et bouche. Pour finir, il y a plusieurs contrôleurs pour les actions de muscles du visage : plissement des yeux et rides du front, tension du cou, respiration, etc. afin de pouvoir pousser l’animation jusqu’aux micro-détails.

L’animation d’un plan avec un dialogue, par exemple, pouvait prendre une à deux semaines de travail selon la longueur et la difficulté.

Autodesk Maya a été l’un des principaux logiciels utilisés chez MPC Film pour l’animation des personnages dans The Lion King (2019). Le studio a développé des rigs et workflows techniques avancés pour permettre aux animateurs de restituer à la fois les mouvements et les subtilités d’anatomie des animaux, tout en conservant l’expressivité nécessaire aux personnages.

Comment gères-tu les retours des superviseurs et réalisateurs de ILPVFX ?

Julien : Les superviseurs étaient particulièrement satisfaits du travail des animateurs sur le projet. Une grande partie des effets spéciaux de Predator: Badlands ont été fabriqués par Weta FX, il fallait donc être à la hauteur ! Et je pense que l’équipe d’Important Looking Pirates a réussi, et même dépassé les attentes.

Y a-t-il des aspects de l’animation pour lesquels tu es particulièrement fier de ce que tu as réalisé ?

Julien : Oui, j’aime quand le résultat est fidèle à la performance de l’acteur. Si mon travail retranscrit précisément le jeu de l’acteur et que l’émotion est bien véhiculée, alors j’estime avoir réussi. Parfois, il s’agit juste d’un regard bien positionné ou d’une forme de bouche précise, et cela demande beaucoup de travail et de temps afin d’y arriver.

Les micro-détails, comme le plissement des yeux ou le mouvement des lèvres, font souvent la différence. Gollum dans The Lord of the Rings a démontré que même un seul regard pouvait transmettre une émotion complexe grâce à une animation faciale précise.

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Quel rôle les franchises Predator et Alien ont-elles joué dans ta passion pour le cinéma et l’animation ?

Julien : J’ai toujours aimé les monstres du cinéma. C’est en partie à cause de films comme Jurassic Park que je suis devenu accro à l’animation, et pouvoir enfin donner vie à cette créature emblématique qu’est le Predator, c’était juste fantastique ! Et tout ça sans bouger de chez moi !

Comment se passe la coordination entre ton travail d’animation et les autres équipes de VFX ou de post-production sur le film ?

Julien : Nous faisons minimum deux réunions par jour : une le matin pour parler des retours du réalisateur, de l’avancée du projet, etc., et une le soir pour montrer notre travail à nos superviseurs et avoir des retours constructifs. S’il y a une coordination à faire entre les différentes équipes VFX, nos superviseurs trouvent une solution et en discutent avec nous pendant les réunions.

Grâce aux outils de gestion de production comme Shotgun, chaque corps de métier peut voir l’avancée des différentes étapes VFX : simulation de fluide, muscles ou même composition finale de l’image. Cela me permettait de pouvoir anticiper les éventuelles demandes côté simulation, si une créature devait entrer en contact avec de l’eau, du feu ou de la neige, par exemple.

Sur Avengers: Endgame, plus de 10 studios VFX ont travaillé simultanément sur différents plans. Les outils de coordination comme ShotGrid ont permis de synchroniser les équipes et d’assurer une cohérence visuelle malgré la complexité du projet.

Comment gères-tu la pression et les délais sur un projet de cette envergure ?

Julien : À ILP, l’organisation est bien gérée. Ils recrutent assez d’animateurs pour éviter de les surcharger de travail. Ensuite, nous sommes tous entourés par une équipe de production qui prend le poids des responsabilités et qui trouve toujours des solutions pour éviter que l’on subisse la pression. Évidemment, le mieux reste de respecter les délais.

Y a-t-il un moment ou une scène sur ce film qui t’a particulièrement marqué dans ton travail, sans révéler l’histoire ?

Julien : Ce que j’ai apprécié, c’est qu’il ne s’agissait pas seulement d’animer le visage du Predator hurlant ou grognant qu’on connaît déjà pour l’avoir vu plusieurs fois dans d’autres films. Cette fois-ci, le film explore un côté plus complexe du Predator, et grâce au rapport conflictuel entre les deux protagonistes, qui sont obligés de survivre ensemble sur cette planète hostile, cela a permis d’obtenir certaines scènes humoristiques que j’ai eu la chance d’animer.

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Quel est ton point de vue sur l’impact de l’intelligence artificielle dans l’animation 3D, et as-tu eu l’occasion de l’expérimenter ?

Julien : Nous avons eu l’occasion d’en débattre à ILP avec l’équipe d’animation, et ce que j’ai retenu, c’est que les studios d’animation ou de VFX comme ILP recherchent des animateurs qui apporteront leurs idées avec eux, qui s’expriment selon leurs propres expériences et sensibilités. L’IA ne fera que répondre plus rapidement en proposant une animation universellement appréciée, mais pas originale.

Les studios qui chercheront le profit se tourneront hélas de plus en plus vers cette solution, mais elle ne pourra répondre que par du déjà-vu.

L’IA peut automatiser certaines tâches fastidieuses, comme la simulation de foule. Dans ‘Ralph Breaks the Internet’, des algorithmes (non strictement de l’IA) ont été utilisés pour accélérer l’animation de scènes avec de nombreux personnages.

Comment vois-tu l’évolution du métier d’animateur avec l’arrivée de l’IA ?

Julien : Le réalisateur ou le client arrivera avec une vision IA, que ce soit des images ou une vidéo, qu’il aura soigneusement décrite, mais qu’il ne peut pas totalement contrôler. Le rôle des équipes des studios VFX sera d’améliorer sa vision et de lui donner la possibilité de tout changer à sa guise.

Pour les studios, c’est aussi un gain de temps, car souvent les réalisateurs n’ont pas une vision très claire de ce qu’ils voudraient obtenir.

Pour l’animateur, il y aura des outils IA pour aider dans les phases parfois fastidieuses, comme le déplacement réaliste d’un personnage d’un point A à un point B, ou la synchronisation du mouvement des lèvres sur le dialogue d’un acteur, etc. L’animateur s’adaptera aux outils et trouvera toujours une façon de s’exprimer à travers eux.

L’IA peut générer des prototypes ou des présentations rapides d’animation, utiles aux réalisateurs pour tester leurs idées et aux équipes techniques pour préparer les scènes, tout en laissant aux animateurs le contrôle artistique final.

Quels enseignements retires-tu de ton expérience sur Predator: Badlands ?

Julien : Un peu pareil que pour les autres studios : écouter l’équipe et savoir s’adapter, communiquer s’il y a un problème technique ou une incompréhension artistique, ne pas hésiter à se faire aider et respecter la hiérarchie.

As-tu déjà des idées ou envies pour tes prochains projets d’animation ?

Julien : Pour l’instant, je continue mon projet de fan film d’animation Batman: Blood Snow. L’équipe avance bien, toujours en préproduction. Les personnages sont bientôt terminés et les voix ne vont pas tarder à être enregistrées !

Nous sommes tous très impatients de vous montrer le résultat !

Batman: Blood Snow est un film d’animation qui propose une vision sombre et stylisée du Chevalier Noir, dans un Gotham enneigé proche de l’univers de Frank Miller ou Sean Gordon Murphy. Le court-métrage réunit les voix de Richard Darbois, Françoise Cadol, Gilbert Levy et Emmanuel Jacomy. Sa sortie est prévue pour 2027.

Propos recueillis par Thomas O. pour Eklecty-City.fr, qui remercie Julien Chery de s’être prêté au jeu d’une interview.

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Thomas
Thomas
Rédacteur en chef et chroniqueur anti-protocolaire. Enfant des années 80's / 90’s biberonné à la Pop Culture. Ancien administrateur et rédacteur des sites et forums francophones dédiés à l'univers de Metal Gear.

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