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[CRITIQUE] L’Histoire Officielle ou l’histoire du mal

Réveillé après un long sommeil, L’histoire Officielle, film réalisé par Luis Puenzo en 1985, ressort le 5 Octobre à l’occasion d’une restauration 4K du master pellicule original.

En compétition officielle à Cannes en 1985, détenteur entre autres du prix d’interprétation féminine pour l’actrice Norma Aleandro, ainsi que l’Oscar du meilleur film étranger la même année, on peut dire que l’Histoire Officielle fait partie de ces œuvres ayant fait parler d’eux à leur sortie, mais dont la postérité s’est dégonflée les années suivantes, jusqu’à plus ou moins disparaître dans l’épais brouillard du patrimoine cinématographique international. Jusqu’à aujourd’hui.

L’histoire de l’instant

C’est là une particularité caractéristique des films engagés dans le brasier de l’actualité, qui ont l’audace de commenter les dérives de leur époque, sans plus attendre le recul de l’histoire.

Ici, le récit se concentre sur la fin de la dictature militaire qui a régné en Argentine de 1976 à 1983, soit pendant la période même où le film a été tourné. Profitant du point d’ancrage où se nouent l’actualité et la fiction, le film provoque la rencontre entre deux natures d’images – documentaires et fictionnelles – à la manière d’un très beau champ-contre-champ entre l’héroïne, et une manifestation publique tirée d’images réelles.
Pour autant, il ne faut pas se perdre dans cette promesse, car l’histoire officielle reste bien, dans son organisme entier, un film de cinéma. Il est même à sa manière le représentant d’un certain classicisme, tant dans sa mise en scène que dans son écriture, et pourrait tout à fait rentrer dans le cahier des charges du cinéma américain « oscarisable » (l’histoire ne démontrera d’ailleurs pas le contraire).

L’histoire officieuse

En quelques lignes, l’histoire d’Alicia, professeur d’histoire à Buenos Aires, mère adoptive d’une petite fille, Gaby, et épouse d’un nouveau riche, dont la fortune à été bâtie sur la collaboration avec le régime de la Junte Militaire. Au retour de sa meilleure amie Sara, interrogée, torturée puis exilée durant de nombreuses années, Alicia éprouve un doute terrible au sujet de Gaby, dont elle n’a jamais appris, ni cherché à apprendre la provenance. A la suite des nombreuses disparitions (exilés, fusillés et prisonniers politiques), plus de 500 enfants ont été volés par l’armée durant l’occupation. Jusque là toutes ces informations ont été passées sous silence, et le peuple (Alicia y compris) n’a jusqu’alors jamais remis en question « l’histoire officielle », qui démentait ces agissements.

A partir de là, le film fonctionnera sur la base d’une quête de vérité, au travers d’une investigation menée par Alicia, partagée entre sa vie familiale et son activité d’enseignante. Dès lors, il est clair que l’originalité du projet tient dans l’axe scénaristique adopté, celui de la vie bourgeoise, là où d’autres lui aurait préféré la peinture du prolétariat, première victime du pouvoir exercé.

Cette société ultra-conservatrice, catholique et autoritaire est donc montrée du point de vue des favorisés, des protégés, et le film n’aura de cesse d’augmenter cette distance par plusieurs procédés d’opposition. D’une part la société bourgeoise, évoluant dans une sphère secrète et privée, souvent dans des intérieurs à la fois spacieux et privatisés, mettant en exergue l’idée qu’une minorité détient la quasi totalité des richesses. D’autre part le peuple, masse informe et révoltée, associée à un espace plutôt extérieur et solaire, celui de la rue et des campagnes isolées, ainsi que quelques espaces publics (hôpitaux, cafés) surmenés d’un côté, bruyants et envahis par la rumeur stridente des jeux électroniques de l’autre.

Le point de vue d’Alicia est un choix malin en ce qu’il permet d’introduire la découverte progressive d’une société, dont le visage monstrueux se précise à mesure que l’intrigue en fait le portrait. Le film adopte en cela parfaitement la perception de son héroïne, sur qui le filtre mensonger de « l’histoire officielle » perdure en raison de sa place sur la pyramide sociale. Malgré le comble du chausseur mal chaussé (Alicia est professeur d’histoire) elle fera naturellement partie des derniers à accéder à cette vérité. L’héroïne incarne donc, à son échelle, la libération des consciences de tout un peuple.

La petite et la grande histoire

D’ailleurs, Ce va et vient entre la petite et la grande histoire, démontre l’implacabilité du film dans son équilibre, qui ne néglige jamais son portrait de femme, dont le regard recouvre la vitalité dans la vérité, peut-être même (symboliquement) la fécondité dans la libération domestique.

Chronologiquement, l’usage de la violence, qui semble initialement l’affaire de marginaux, de parias et de révolutionnaires, devient plus tard celle d’un peuple. Puis lors du dénouement, la source de cette violence se révèle enfin, là où elle semblait absente ; au cœur du foyer bourgeois.

C’est donc à la plus petite échelle que se révèle l’instinct meurtrier de la dictature : dans une scène absolument terrifiante, Alicia menace en effet son mari de lui enlever sa fille s’il refuse de dire toute la vérité sur les origines de l’enfant. C’est là, qu’en l’espace d’un photogramme, le simulacre courtois et paternaliste s’effondre dans un accès de colère foudroyant, meurtrier, comparable à une vision sortie des entrailles d’un film de William Friedkin, où l’homme ne cherche plus qu’à faire jaillir le sang du corps de son épouse.

Le film démontre en ce sens que la révélation au tortionnaire de son propre visage ne peut conduire qu’à la torture, que pointer du doigt la violence ne peut conduire qu’à la violence. Et donc, en substance, qu’une société ne peut recouvrir sa liberté qu’à travers la violence d’une révolution.

A cet égard, et sans émettre d’affirmation sur l’avenir d’une Argentine fraîchement démocratique au milieu des années 80, Luis Puenzo esquisse néanmoins la possibilité d’un futur, au détour d’un plan célébrant l’enfance dans toute sa vitalité, et toute son heureuse incertitude.

C’est peut-être là le sens profond de cette ressortie tardive, à l’aube de tensions nouvelles dans nos sociétés modernes, que faire ressurgir le visage d’un monstre qui, on le sait, possède mille et un visages.

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Arthur
Arthur
Chroniqueur lunaire et fervent croyant aux forces primitives du cinéma, il considère l'expérience d'un film comme un voyage à l'intérieur du cerveau de son créateur.

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