De Lucy Gray Baird à Katniss Everdeen, Suzanne Collins tisse un lien entre ces deux héroïnes. Mais Katniss est-elle réellement la descendante de Lucy Gray ?
Soixante-cinq ans séparent Lucy Gray Baird et Katniss Everdeen, deux noms associés à la survie, au chant et à la rébellion. L’une triomphe des 10ᵉ Hunger Games sous les yeux d’un jeune Coriolanus Snow ; l’autre devient le visage de la révolte qui met fin à son régime. À première vue, rien ne les unit sinon leur district. Pourtant, l’œuvre de Suzanne Collins sème des indices qui entretiennent le doute : et si Katniss descendait de Lucy Gray ou de sa lignée musicale, le peuple des Covey ? La question dépasse la généalogie. Elle interroge la mémoire, la transmission et la persistance d’une idée : celle de la liberté chantée face à la peur.
Lucy Gray Baird, interprétée par Rachel Zegler dans l’adaptation cinématographique La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, apparaît comme la première figure du Douze à faire vaciller l’ordre imposé par le Capitole. Chanteuse du peuple itinérant des Covey, elle entre dans l’arène avec une grâce qui fascine autant qu’elle dérange. Son talent attire la bienveillance du public et révèle au jeune Snow le pouvoir de la mise en scène. Ce rapport entre art et politique, Collins le prolonge dans la trilogie originale : Katniss, interprétée par Jennifer Lawrence, captive elle aussi les foules sans l’avoir cherché. Sa voix, ses gestes, son refus d’obéir deviennent des symboles diffusés au-delà des écrans du Capitole. Dans les deux cas, une jeune fille issue du district Douze bouleverse un ordre fondé sur le spectacle de la mort.
Les similitudes se multiplient dès qu’on observe leurs origines. Lucy Gray vit à la lisière du district, aux confins de la Plaque, tout comme Katniss grandit près de la forêt du Seam. Toutes deux héritent d’un lien fort avec la nature : la première maîtrise les serpents et compose des chansons inspirées du monde sauvage ; la seconde chasse, cueille et chante pour apaiser la douleur. Dans Mockingjay, Katniss évoque la voix de son père capable de faire taire les oiseaux. Ce détail renvoie directement à Lucy Gray, dont les mélodies fascinent les créatures comme les spectateurs. L’héritage semble donc se transmettre non par le sang mais par la mémoire d’un chant interdit : L’Arbre du pendu.
Le parallèle s’étend à la géographie et au folklore. Le lac où Lucy Gray disparaît correspond au même lieu où Katniss apprend à nager et à cueillir la plante qui porte son nom. Collins inscrit ainsi la continuité d’un territoire habité par le souvenir : celui d’une jeune femme insoumise, effacée des registres officiels mais gravée dans la tradition orale. Lorsque Katniss fredonne L’Arbre du pendu, la chanson devient l’écho d’une voix disparue depuis des décennies. Ce motif relie le passé et le présent, suggérant qu’à défaut d’une filiation prouvée, Katniss incarne la survivance de Lucy Gray.
Les théories de parenté entre Lucy Gray et Katniss Everdeen
Depuis la sortie de La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, les lecteurs tentent de reconstituer un arbre généalogique reliant Lucy Gray Baird à Katniss Everdeen. Officiellement, Suzanne Collins ne confirme aucune filiation. Pourtant, plusieurs indices littéraires et géographiques alimentent les hypothèses.
Les Covey, famille musicale de Lucy Gray, ont été contraints de s’installer dans le district Douze après la première rébellion. Ce groupe itinérant, dont les membres portent souvent des noms inspirés de la nature, partage avec les Everdeen un héritage culturel : le chant, la mémoire des chansons interdites et le rapport au monde sauvage. Dans le roman Sunrise on the Reaping, publié en 2025, Suzanne Collins évoque de nouveaux éléments liant la lignée Covey à la famille Everdeen. On y apprend que Burdock Everdeen, père de Katniss, est parent avec Lenore Dove Baird, descendante directe du clan Covey. Cette connexion, bien que discrète, donne du poids à l’idée d’un lien familial entre Lucy Gray et Katniss.
Certains lecteurs avancent que Lucy Gray serait la grand-mère ou l’arrière-grand-mère de Katniss. L’hypothèse repose sur la chronologie : environ soixante-cinq ans séparent leurs histoires, un écart compatible avec deux générations. Lucy aurait pu survivre à sa fuite, revenir discrètement dans le district Douze et fonder une famille sous un autre nom. La présence d’une tombe portant son nom dans le cimetière des Covey, mentionnée dans Lever de Soleil sur la Moisson, entretient toutefois le mystère. Elle pourrait honorer sa mémoire plutôt que marquer un véritable lieu de sépulture. Collins laisse volontairement planer le doute, fidèle à son écriture symbolique où la disparition ne signifie pas toujours la mort.
D’autres théories désignent Maude Ivory, cousine de Lucy Gray, comme l’ancêtre probable de Katniss. Les deux partagent une oreille musicale exceptionnelle et la capacité d’apprendre un chant après une seule écoute. Dans La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, Maude se souvient de chaque mélodie, qualité reprise mot pour mot dans la description de Katniss dans Mockingjay. Cette aptitude, combinée à la transmission orale de L’Arbre du pendu, suggère une filiation plus indirecte mais cohérente. L’œuvre de Collins semble ainsi construire un arbre invisible où la musique remplace le sang comme fil conducteur.
Au-delà de la biologie, certains analystes soulignent le rôle du langage symbolique. Lucy Gray compose des chansons pour défier le pouvoir ; Katniss utilise la sienne pour rallumer la révolte. Dans les deux récits, le chant devient une arme, un acte politique. Ce parallèle nourrit une lecture métaphorique : Katniss ne descend pas nécessairement de Lucy Gray, elle hérite de son esprit de résistance. L’auteure aurait alors choisi de faire renaître Lucy Gray à travers la jeune héroïne du Douze, preuve que la rébellion peut se transmettre par l’idée plutôt que par la lignée.
L’héritage symbolique : de la chanson à la rébellion
Au-delà des spéculations généalogiques, le lien entre Lucy Gray et Katniss Everdeen s’inscrit dans une continuité thématique. Les deux jeunes femmes incarnent la voix qui s’élève contre le contrôle du Capitole. Dans les deux récits, la musique n’est pas un simple art : elle devient un moyen de communication, un acte de défi. Lorsque Lucy Gray chante dans l’arène, elle transforme un combat à mort en performance. Des décennies plus tard, Katniss, en fredonnant L’Arbre du pendu face aux caméras de la propagande du District 13, reproduit ce geste. Elle redonne vie à la chanson interdite, devenue hymne de la révolte.
Cette correspondance illustre la permanence d’un message que Snow a tenté d’effacer. Le président, témoin du chant de Lucy Gray durant sa jeunesse, retrouve inconsciemment son souvenir à travers Katniss. Sa haine instinctive pour la jeune tributaire du Douze prend alors un sens nouveau : elle lui renvoie l’image du passé qu’il a voulu enterrer. L’écho entre ces deux figures féminines dépasse le simple hasard. La voix de Katniss agit comme une mémoire collective qui ressuscite les fantômes de Lucy Gray et des Covey. Le cycle de la domination et de la résistance se répète, mais cette fois, la musique mène à la chute du tyran.
Dans la construction narrative de Suzanne Collins, Lucy Gray représente le point d’origine du symbole du mockingjay. Elle chante avec les oiseaux et attire les serpents ; Katniss, elle, devient la fille du feu que les oiseaux imitent. Ces reflets inversés traduisent une évolution : le chant intime de Lucy devient, entre les mains de Katniss, un cri public. L’idée d’une transmission non génétique mais spirituelle s’impose. Lucy Gray aurait été la première à montrer que la beauté pouvait renverser la peur. Katniss en accomplit la promesse en transformant cette beauté en révolution.
Une filiation d’idée plutôt que de sang
Qu’elles soient parentes ou non, Lucy Gray et Katniss partagent la même trajectoire : l’une révèle à Snow la puissance du spectacle, l’autre l’utilise pour le vaincre. Ce parallèle construit une boucle parfaite dans l’univers de Hunger Games. La jeune chanteuse du passé annonce la naissance du mythe futur. En cela, Collins relie ses deux héroïnes par une filiation d’idée. Lucy Gray incarne la naissance de la rébellion ; Katniss en incarne l’aboutissement.
La chanson, la nature et la défiance deviennent les trois héritages invisibles transmis d’une génération à l’autre. Dans le monde de Panem, où la mémoire collective est sans cesse réécrite, ces traces constituent une lignée alternative, plus forte que les registres officiels. Qu’elle soit ancêtre, muse ou simple écho, Lucy Gray vit à travers Katniss chaque fois que résonne L’Arbre du pendu.








