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[CRITIQUE] Le Pantin : les yeux étranges de l’étranger

« Quelle étrangeté ! » Se dira –t-on à l’issue du visionnage de ce Pantin, titre qui semble d’ailleurs arborer le concept d’une comédie de Pierre Richard dans les années 80.

Désarçonnant mais neuf, à-priori disgracieux mais étonnamment maîtrisé, le film suit la trajectoire d’Esteban, immigré clandestin jeté à la mer, par les passeurs qui devaient le mener en Angleterre. L’homme est alors récupéré près des côtes bretonnes par Raphaëlle, une jeune femme qui le ramène chez elle, lui permettant de trouver gîte et couvert en échange de quelques services domestiques.

Pour bien comprendre l’étrangeté (la fameuse) du projet, il faut s’attarder sur les attentes dessinées par ces quelques lignes de résumé. En effet, à quoi devrait-on naturellement s’attendre ? Sûrement, par triste habitude, à un petit film social sur le devenir d’un réfugié sur le territoire français, sur le choc des cultures peut-être, si ce n’est le processus d’intégration.

Pourtant, l’œuvre de Mallory Grolleau se révèle être tout à fait différente de tout ce qu’on aurait pu imaginer d’ une telle entreprise. Plus étrange encore, le film reste franchement mystérieux au sortir de la salle.

Film de courant

C’est qu’il faut prendre le Pantin pour ce qu’il est vraiment : un film de courant, non pas artistique, mais bien le courant dans lequel il faudrait se laisser porter – à l’image du clandestin poussé vers des rivages inconnus – pour en appréhender le contenu. Car le Pantin expérimente beaucoup, jouit d’une liberté de tons et de mouvements étonnante, n’hésitant jamais à superposer humour, fantastique, drame, surréalisme et métaphores visuelles.

D’une scène de repas sans artifice ni ajoutant, nous nous retrouvons tout à coup projetés dans une vision d’esclavagisme à la fois grand-guignolesque et sincèrement dérangeante, où le jeune réfugié, alors contraint à se travestir, se met à danser langoureusement sur une musique minimaliste, et ce, sous le regard d’acier de son hôte féminine, alors devenue maître et mari brutal. L’image numérique et peu éclairée aidant, une réelle crudité construit l’esthétique du film, qui n’essaie jamais d’adoucir, ou d’intégrer ces instants décalés dans une perception propice au décalage.

Le film risque beaucoup de ce point de vue, prend le pari de tout filmer sans embellir, et souvent de manière si évidente qu’on pourrait douter du bien fondé de l’entreprise. C’est pourtant de cette manière naturelle (à défaut d’être naturaliste) que le film parvient à générer quelques petits miracles, où soudainement l’auteur décide de filmer le plus simplement du monde un objet, un bâtiment, une pièce à vivre, et réussit à en extraire une matière à la lisière du fantastique.

Questionner l’identité

Cela pourrait s’expliquer par cette perte de repères aux yeux d’Esteban, dont l’absence d’ancrage culturel pousse le champ de ses perceptions, progressivement, dans une nébuleuse.

Cette femme aussi, l’obligeant à se travestir, à adopter le rôle de la femme au foyer, participe à raconter la perdition du personnage, sexuelle dans ce cas précis, mais identitaire avant tout.

C’est la question que pourrait poser le film : peut-on garder son identité lorsqu’on se déracine, lorsqu’on se retrouve propulsé dans l’univers de l’Autre, sans droits ni papiers pour témoigner de son individualité ?
C’est sur ces points d’interrogation que semble se construire le langage visuel du film. Celui qui consisterait à déposer un nouveau calque de vision – celui de l’étranger – sur la perception apprivoisée de n’importe quel autochtone français. Une petite maison, un jardin, une route, ou un bureau, se retrouvent soudainement propulsés dans une brèche inter-dimensionnelle, via l’étrangeté du regard étranger. Contamination du paysage français, mais surtout, révélateur de sa propre poétique. C’est aussi un processus de distanciation où soudainement, l’architecture se retrouve déchargée de ses propres connotations culturelles, pour enfin retrouver sa place à l’échelle cosmique.

Un film de vampires

Cela fait un bien fou d’assister à la naissance d’une arène de cinéma, de lui permettre d’acquérir une existence propre, à l’instar des personnages.

C’est que le cinéma français a pris la fâcheuse tendance de filmer éternellement les mêmes murs, au risque de ne plus les voir du tout, toujours aspiré davantage par l’attraction vaine du corps de star. Cette dernière serait peut-être devenue à terme le vrai pantin du cinéma français. C’est ce que Dumont racontait dans Ma Loute, ce devenir cadavérique de l’acteur, qui finit par répéter inlassablement une chorégraphie, uniquement porté par la croyance d’un système un peu stupide, qu’une tête d’affiche constitue une valeur en soi.

Il ne réside peut-être pas de discours clairement identifiable à ce sujet dans le Pantin. Mais malgré tout, il est indéniable que le film est traversé d’une vitalité folle, quand bien même est-il construit sur le devenir morbide de ses personnages.

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Arthur
Arthur
Chroniqueur lunaire et fervent croyant aux forces primitives du cinéma, il considère l'expérience d'un film comme un voyage à l'intérieur du cerveau de son créateur.

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