Amazon injecte des fonds dans Fable, créateur de Showrunner, une plateforme où l’utilisateur génère des séries animées en quelques instructions.
Dans un article de Variety, nous apprenons qu’Amazon a investi dans la start-up Fable, basée à San Francisco, pour développer un outil nommé Showrunner. Cette plateforme transforme le streaming en un système de génération de contenus. L’utilisateur entre un prompt, l’intelligence artificielle produit une scène ou un épisode. Aucun scénariste, aucun animateur, aucun acteur n’intervient. La production devient une fonction logicielle.
Fable décrit Showrunner comme un service destiné à créer des séries animées à la demande. L’utilisateur choisit un univers narratif ou en invente un. Il peut créer un épisode complet, modifier les dialogues, orienter l’action. Le tout repose sur une technologie propriétaire : le modèle SHOW-2. La version précédente, SHOW-1, avait permis à Fable de produire neuf épisodes inspirés de South Park. Ces contenus, réalisés sans l’accord des créateurs, ont été visionnés plus de 80 millions de fois. Edward Saatchi, fondateur de Fable, déclare :
‘Ils ont été rassurés de savoir que l’IP n’était pas exploitée à des fins commerciales.‘
Après plusieurs mois de test auprès de 10 000 utilisateurs, la plateforme ouvre l’accès au public. L’outil sera gratuit dans un premier temps, avant de devenir payant. Fable prévoit de facturer entre 10 et 20 dollars par mois pour permettre aux utilisateurs de générer des centaines de scènes. Le visionnage restera gratuit, et les vidéos produites pourront circuler librement, notamment sur YouTube. Le paradoxe est assumé : ce système, fondé sur l’exploitation de contenus non rémunérés, fera désormais payer ceux qui l’utilisent.
Deux séries accompagnent le lancement. ‘Exit Valley‘ propose une parodie d’Elon Musk, Sam Altman et autres figures de la tech. ‘Everything Is Fine‘ suit un couple propulsé dans un monde parallèle après une dispute dans un magasin Ikea. Ces univers servent de base que les utilisateurs peuvent déformer, réécrire, détourner. Showrunner permet aussi d’y insérer son propre visage.
L’outil ne se limite pas à générer du contenu. Il modifie la place du spectateur. Edward Saatchi affirme : ‘Les services de streaming vont devenir interactifs : les spectateurs qui aiment une série pourront créer de nouveaux épisodes avec quelques mots et devenir eux-mêmes des personnages grâce à une photo.‘
Cette logique efface le processus créatif. Aucun temps d’écriture. Aucun regard artistique. L’œuvre devient un produit variable. L’utilisateur devient opérateur.
Edward Saatchi souligne la limite actuelle de l’outil : ‘Aujourd’hui, l’IA ne peut pas encore soutenir une intrigue complexe sur une soixantaine d’épisodes. Ce qu’elle fait le mieux, ce sont les formats très épisodiques où les personnages repartent de zéro à chaque épisode.‘
L’algorithme cible donc les formats les plus simples : sitcoms, séries procédurales, récits fragmentés. Il évite toute continuité. Il fabrique des boucles.
Showrunner inclut des garde-fous. Le système bloque les usages illégaux ou offensifs. Il vérifie la cohérence des actions. ‘Le système peut évaluer si un personnage ferait réellement ce qu’on lui fait faire‘, explique Saatchi. Fable n’entre pas dans la compétition du contenu photoréaliste. L’entreprise reste sur l’animation, qui nécessite moins de puissance de calcul : ‘Si vous êtes en compétition directe avec Google, allez-vous gagner ? Notre objectif est de proposer les modèles les plus créatifs.‘
Fable mène des discussions avec plusieurs studios, dont Disney, pour obtenir le droit d’exploiter des univers protégés. L’objectif n’est plus de créer, mais de laisser l’utilisateur générer ses propres épisodes à partir de licences existantes.
Le récit devient un outil. L’univers devient une matière première. La création n’est plus le fruit d’un geste humain, elle devient un simple résultat automatisé. L’auteur, le réalisateur, le dessinateur et le scénariste sont évacués. La machine prend leur place. Le spectateur ne reçoit plus une œuvre, il déclenche une production. Ce passage acté marque une bascule irréversible : la fin de la création, remplacée par sa simulation.