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L’enquête qui lève le voile sur « Le Piratage, c’est du vol »

Une enquête minutieuse de deux ans lève enfin le voile sur les origines du spot culte ‘Le Piratage, c’est du vol‘, diffusé sur des millions de DVD.

Le mystère derrière le spot le plus vu des années 2000

Au milieu des années deux mille, chaque film lancé sur un lecteur DVD commençait par la même séquence. Un message ferme, porté par une musique tendue, affirmait que le piratage équivalait à un vol. Cette campagne, diffusée dans des dizaines de pays, s’imposait dans les foyers du monde entier. Pourtant, personne ne savait qui l’avait créée.

Le vidéaste Nicolas Delage découvre qu’aucune trace officielle ne mentionne le réalisateur, le compositeur ou même l’organisme responsable de la vidéo. Ce constat l’amène à entamer une enquête de deux ans, faite de vérifications, d’entretiens et d’indices recoupés. La vidéo, connue sous le titre original ‘Piracy. It’s a Crime‘, ne comporte aucun crédit identifiable. Malgré son omniprésence, aucune archive n’en retrace la production. Elle a pourtant marqué durablement la culture populaire et donné naissance à un mème mondial avec la phrase ‘You wouldn’t download a car‘.

Pour comprendre son origine, Nicolas examine la page Wikipédia du spot, remplie d’erreurs. Selon elle, la campagne serait née d’une collaboration entre l’Intellectual Property Office of Singapore (IPOS), la Federation Against Copyright Theft (FACT) et la Motion Picture Association (MPA). Ces trois organismes sont connus pour défendre le droit d’auteur à l’échelle internationale.

Après les avoir contactés, Nicolas Delage reçoit des réponses contradictoires. Chacun admet avoir contribué à la diffusion du message sans en revendiquer la production. IPOS renvoie vers FACT, FACT mentionne la MPA, et la MPA renvoie vers FACT. Cette confusion renforce le mystère. ‘IPOS m’a dit que FACT en était responsable, FACT a dit que c’était la MPA, et la MPA a renvoyé vers FACT‘, explique Nicolas.

Hollywood en guerre contre le piratage

Pour comprendre la genèse du projet, il faut revenir au contexte du début des années deux mille. Internet se généralise, les plateformes d’échange de fichiers se multiplient, et l’industrie du disque s’effondre. Les ventes chutent, la peur s’installe, et Hollywood s’organise.

La Motion Picture Association of America (MPAA), qui regroupe les principaux studios – Paramount, MGM, Sony, Universal, Disney, Warner Bros et 20th Century Fox – multiplie les campagnes de communication. Sous la direction de Jack Valenti, ancien conseiller du président Lyndon B. Johnson, la MPA mène une lutte ouverte contre le piratage.

Valenti compare même le magnétoscope à ‘l’étrangleur de Boston‘ pour les producteurs de films. Les studios craignent une perte de contrôle sur la diffusion de leurs œuvres et veulent imposer un message clair. C’est dans ce contexte que naît la vidéo ‘Le Piratage, c’est du vol‘, conçue pour sensibiliser et dissuader.

La piste de la Motion Picture Association

En interrogeant d’anciens cadres, Nicolas Delage retrouve Frank Rittman, responsable de la MPA pour la zone Asie. Il confirme un premier élément clé : ‘Oui, la vidéo vient bien de la MPA. Elle avait pour but d’être partagée avec tous les pays membres pour servir de modèle.

Il précise également que la différence entre ‘Piracy is a crime‘ et ‘Le piratage, c’est du vol‘ découle de raisons juridiques. Dans certains pays, le piratage n’est pas un crime au sens pénal du terme. Le message a donc été adapté pour rester juridiquement exact. La vidéo, traduite dans plusieurs langues, devait promouvoir une action coordonnée à l’échelle mondiale.

Cette précision établit que la MPA est bien à l’origine du projet. Toutefois, elle ne permet pas encore d’en identifier les créateurs.

Les pièces du puzzle s’assemblent

Après plusieurs mois d’investigation, Nicolas entreprend une analyse visuelle détaillée. Il capture les plans du spot, observe les bâtiments, les véhicules et les enseignes. En comparant ces images avec celles de plusieurs films, il découvre que le décor correspond à une rue artificielle visible dans ‘Vanilla Sky‘ de Cameron Crowe.

Après vérification, cette rue se trouve dans les studios Paramount à Los Angeles. Cette découverte apporte la première preuve matérielle concrète. Le tournage a eu lieu à Hollywood, et non en Europe ou à Singapour.

Peu après, Nicolas Delage reçoit un message du journaliste Christophe Wilson, qui mène la même recherche. Les deux hommes décident de collaborer. Ensemble, ils recoupent les informations, partagent leurs contacts et élargissent le champ de l’enquête.

Leur travail les conduit à une nouvelle piste. Sur la plateforme Vimeo, ils trouvent une version du spot publiée par Rafal Kaniewsky, graphiste chez Capital FX, une société britannique réputée pour ses génériques de films comme Harry Potter. Rafal indique dans la description de la vidéo : ‘Mon premier job de compositing.‘.

Contacté, Rafal Kaniewsky confirme : ‘Notre équipe s’est occupée de la traduction et des incrustations de texte dans différentes langues.‘ Ces éléments confirment la dimension internationale de la production, coordonnée entre les États-Unis et le Royaume-Uni.

Malgré cette découverte, l’identité de l’équipe créative principale reste inconnue. Les journalistes poursuivent leurs recherches.

De la stratégie à la production

La seule personne prête à les aider reste Frank Rittman. Il suggère de contacter une ancienne collègue, Marta Grutka, ancienne responsable de la communication autour de la lutte antipiratage à la MPA. Elle explique qu’un comité, appelé PR Council, réunissait les représentants des sept grands studios pour harmoniser les messages de communication. Les réunions avaient lieu à Los Angeles et abordaient la conception d’une campagne commune.

Nous voulions un message direct et facilement compréhensible, capable d’être utilisé partout‘, se souvient Marta Grutka. Elle précise qu’elle a quitté la MPA avant la production effective du spot, mais oriente Nicolas vers Laura Tunberg, alors responsable du département antipiratage chez MGM.

Laura Tunberg confirme que la création de ‘Le Piratage, c’est du vol‘ s’est faite dans une atmosphère tendue entre les studios. Chacun voulait défendre sa vision et limiter ses dépenses, rendant les décisions collectives presque impossibles. Selon elle, la MPA coordonnait les débats, mais la production concrète devait être confiée à un studio volontaire.

Tunberg décrit un processus laborieux : ‘Nous partagions tous le même objectif, protéger nos œuvres, mais nous ne parvenions jamais à nous accorder sur la manière. Chaque studio voulait garder le contrôle sur son image.

Elle se souvient également que le spot avait suscité des rires dans les couloirs des studios. Beaucoup le jugeaient maladroit et trop moralisateur. L’idée d’associer le téléchargement à un vol de voiture ou de sac paraissait simpliste à plusieurs cadres. Pourtant, malgré ces critiques, tous s’accordaient sur l’importance du message.

Interrogée sur le studio à l’origine du tournage, Laura Tunberg écarte Paramount, qu’elle juge peu impliqué dans les campagnes collectives de la MPA. Elle évoque plutôt Warner Bros, dont les équipes internes disposaient déjà d’une structure de production publicitaire capable de concevoir un spot de ce type.

La vérité émerge au Marché du Film

Après des mois de recherches, Nicolas Delage et Christophe Wilson identifient sur LinkedIn un ancien cadre de la MPA nommé Thomas Molter. Son profil mentionne ‘la création et la diffusion d’un trailer antipiratage dans plus de cinquante pays‘.

Malgré plusieurs tentatives, Molter reste silencieux. Nicolas Delage sollicite une nouvelle fois Frank Rittman qui lui révèle qu’il vient de croiser Molter lors d’un salon professionnel à Bangkok. Grâce à cette rencontre, un contact direct est organisé.

La rencontre se déroule dans le cadre du Marché du Film, le grand rendez-vous professionnel du cinéma mondial. Thomas Molter confirme plusieurs éléments majeurs : le spot a bien été réalisé sous la supervision directe de la Motion Picture Association, en collaboration avec les sept studios hollywoodiens et un partenaire encore inconnu jusqu’alors, la National Association of Theater Owners (NATO), une organisation représentant les exploitants de salles de cinéma à travers le monde.

Cette information renverse la version officielle trouvée sur Wikipédia. Ni IPOS ni FACT n’ont participé à la création du spot. Seuls la MPA, les grands studios et la NATO en sont les véritables commanditaires.

Il ajoute que la vidéo a été confiée à un studio volontaire parmi les membres de la MPA. ‘C’est Warner Bros qui s’en est occupé, via son département créatif interne, The Idea Place.‘ Molter décrit aussi la genèse du message : ‘Des études avaient été menées dans plusieurs pays. Les résultats disaient tous la même chose : il fallait un message simple et direct. C’est comme cela qu’est né ‘Piracy. It’s a Crime’.

Thomas Molter se souvient même d’un nom associé au projet : un certain Ricky, responsable de la coordination entre la MPA et les équipes techniques du studio.

L’homme derrière le spot culte

Nicolas Delage fouille alors les archives du magazine Variety. Un article de 1998 annonce la nomination d’un homme à la tête d’un nouveau service de création interne chez Warner : Ricky Mintz, il dirigeait le pôle en charge des bandes-annonces, des publicités et des spots télévisés pour le studio.

Après quelques recherches, Nicolas découvre que Ricky Mintz travaille toujours dans la communication visuelle, à la tête de sa propre agence, Go Dog Go. Il le contacte et reçoit enfin une réponse positive. Mintz accepte de participer à une interview.

Lors de leur entretien, Ricky Mintz confirme son rôle dans la création du spot. En 2003, la MPA et les grands studios demandent à Warner Bros de produire une vidéo universelle pour sensibiliser le public au piratage : ‘Quelqu’un m’a dit : ‘On veut que tu t’occupes de ça. On ne sait pas encore à quoi ça doit ressembler, mais il faut que ce soit fort et compréhensible partout.

Mintz explique que le processus a duré près d’un an. Les réunions de validation s’enchaînaient entre la MPA et les représentants des sept studios. Chacun proposait des idées, chacun voulait un mot à dire. Après des dizaines de versions, l’équipe de The Idea Place parvient à imposer un concept simple et efficace : comparer le piratage de films à un vol de biens physiques : voiture, sac, ordinateur.

Une fois le scénario validé, le tournage démarre dans les studios Paramount à Los Angeles. Mintz confie que le spot a subi de nombreuses modifications en montage et en habillage visuel. Le ton d’origine était plus neutre, mais les graphistes décident de renforcer la tension à l’aide d’effets visuels sombres et de rythmes saccadés.

Pour cette partie, Ricky Mintz s’appuie sur une équipe de collaborateurs spécialisés. Le monteur Terry Paul, déjà connu pour son travail sur des bandes-annonces, structure le rythme du film. L’artiste graphique Scott Ellman conçoit les typographies et les transitions animées. C’est lui qui propose d’ajouter du bruit vidéo et des textures rugueuses pour donner à l’ensemble une allure nerveuse.

On a sali les images, on a ajouté du grain et des distorsions. On voulait que ça ait une énergie de clip musical,‘ explique Ellman.

Le duo affine ensuite le message jusqu’à obtenir une version définitive, validée par les studios et la MPA. Ainsi, on découvre que le spot porte un titre officiel : ‘Downloader‘ comme l’indique les trophées décernés à The Idea Place pour cette production. Ricky Mintz confirme également que le spot a été conçu et réalisé par les équipes internes de Warner Bros, depuis la mise en scène jusqu’à la diffusion.

Lors d’un échange plus personnel, Joe Nelms, coauteur du scénario, raconte que le spot avait été conçu comme un projet de commande parmi d’autres : ‘Honnêtement, c’était un jeudi, un jour comme les autres. On travaillait sur des dizaines de trailers. Je ne pensais pas que celui-là marquerait autant.

Police légale ou polémique : le vrai du faux

Nicolas Delage et Christophe Wilson s’intéressent ensuite à un détail qui a fait polémique. Une rumeur récente affirmait que la police de caractères utilisée dans le spot avait été elle-même piratée. Des internautes avaient découvert que la typographie affichée dans certains fichiers liés à la campagne provenait d’une version non licenciée.

Pour vérifier cette accusation, ils contactent directement Scott Ellman. Celui-ci répond dans un long courriel : ‘Nous avons toujours utilisé des éléments validés par Warner Bros. Si une police non autorisée a été employée, c’était totalement involontaire. Nous ne pirations jamais le travail d’un autre artiste.

Les anciens responsables de FontFont, l’entreprise qui commercialisait la typographie originale, confirment que rien ne prouve l’utilisation illégale d’une copie. De plus, le fichier PDF à l’origine de la controverse provenait d’un site web indépendant sans lien direct avec la MPA ni Warner.

Downloader : L’histoire du spot antipiratage

Après deux ans d’enquête, Nicolas Delage et Christophe Wilson sont parvenus à retracer la genèse complète du spot ‘Le Piratage, c’est du vol‘, connu internationalement sous le titre ‘Piracy. It’s a Crime‘. Derrière cette vidéo culte se cache en réalité un projet interne de Warner Bros baptisé Downloader. Son créateur, Ricky Mintz, alors directeur de l’agence The Idea Place, dirige une petite équipe de concepteurs composée de Joe Nelms, Scott Ellman et Terry Paul, chargée d’imaginer un court film percutant capable de sensibiliser le public au piratage. Le message, direct et universel, compare le téléchargement illégal à un vol matériel, un choix qui fera autant son succès que sa controverse.

Diffusé dès 2004 dans plus de cinquante pays, le spot devient rapidement un phénomène culturel. Sa phrase culte ‘You wouldn’t download a car‘ envahit Internet, transformant un message moralisateur en mème planétaire. D’abord symbole de répression, Downloader se mue en icône pop, qui a marqu » durablement toute une génération de spectateurs. ‘Je ne pensais pas que ce spot serait encore connu vingt ans plus tard,‘ confie Ricky Mintz. ‘C’est incroyable de voir qu’il est devenu un morceau de mémoire collective.

Au-delà du mythe, l’enquête de Nicolas Delage et Christophe Wilson révèle une époque charnière où Hollywood tâtonnait face à la révolution numérique. Tandis que les studios misent sur la peur et la dissuasion, les premiers services de VOD comme MovieLink esquissaient timidement l’avenir du streaming. ‘Le Piratage, c’est du vol‘ apparaît alors comme une capsule temporelle, un témoignage d’une industrie en pleine mutation.

Grâce à ces témoignages croisés, l’équipe de Nicolas Delage et Christophe Wilson sont parvenus à reconstituer la chaîne complète de production :

  • Titre du projet : DOWNLOADER
  • Producteur exécutif / Directeur artistique / Auteur : Ricky Mintz
  • Co-auteur : Joe Nelms
  • Graphiste : Scott Ellman
  • Monteurs : Terry Paul et Daryl Clift
  • Superviseur (MPA) : Thomas Molter
  • Sociétés de production : The Idea Place – Warner Bros.
  • Graphismes (traductions) : Capital FX
  • Lieu de tournage : Paramount Backlot
  • Produit par : The Idea Place – Warner Bros. – The National Association of Theatre Owners (Cinema United) – The Motion Picture Association
  • Avec le soutien de : Paramount Pictures – Universal Studios – The Walt Disney Company – MGM – Sony Pictures – 20th Century Fox

Le mystère est presque résolu. Il ne reste qu’une inconnue : qui a composé la musique ? Ce dernier point fera l’objet de la deuxième partie à venir de son enquête documentaire.

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Thomas
Thomas
Rédacteur en chef et chroniqueur anti-protocolaire. Enfant des années 80's / 90’s biberonné à la Pop Culture. Ancien administrateur et rédacteur des sites et forums francophones dédiés à l'univers de Metal Gear.

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