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Play Break : Lynn & The Bad Buzzing of Inao

On commence ce premier numéro de Play Break avec une des polémiques de la semaine concernant : Lynn & The Spirits Of Inao.

L’espoir d’un jeu indépendant

Si beaucoup de publics défendent le jeu vidéo indépendant pour ses vertus artistiques et ses logiques anti « méga-industrielles », il faut croire que tout n’est pas rose dans le milieu.

Histoire de remettre en contexte : Bloomy Light Studio, boîte indépendante de jeu vidéo développée à Aix-en-Provence par David Tollari (fondateur et directeur créatif) avait pour ambition de créer un nouveau jeu : Lynn & The Spirits Of Inao.

Jeu 2D haut en couleurs et pleinement inspiré du créateur Hayao Miyazaki (Princesse Mononoke, Mon voisin Totoro et plus récemment Le Vent se lève), il aura su convaincre et donner plein d’espoir à toute la frange de joueurs addicts du genre.Bloomy Light Studio souhaite proposer une expérience complète au joueur au sein de ce Adventure/Plateformer game avec diverses phases d’infiltration, de combat, quêtes, énigmes, etc.

Un bel enthousiasme de la part du public, et une campagne Kickstarter bien amorcée avec déjà plus de 37 000 euros récupérés sur les 56 000 au total, Bloomy Light Studio flirtait avec le succès. Mais voilà, un imprévu de taille est arrivé : plusieurs des stagiaires engagés dans cette entreprise se sont manifestés concernant les conditions de production du soft plus que douteuses.

Ces derniers ont clairement expliqué que leurs durées de stages (supérieures à 2 mois) n’a absolument pas été gratifiée selon les normes et les lois en vigueur. Il faut savoir que dès passé 44 jours travaillés en France dans le cadre d’un stage, le stagiaire bénéficie d’une gratification minimale de 3,60 euros/heure minimum.

Aussi, le jeu n’avait absolument aucun gameplay mis en place et la narration ne connaissait encore aucun réelle version finale. De plus, les images présentées n’étaient que des productions graphiques et nullement tirées du jeu. Rappelons que le projet était déjà en production depuis normalement 5ans.

Nous avons voulu investiguer sur cette récente polémique. Laureine Sautereau, ancienne stagiaire de Bloomy Light Studio nous a fait l’honneur de répondre à notre interview.

Play Break : à la rencontre de Laureine Sautereau

Bonjour Laureine, tout d’abord merci de nous avoir accorder cette interview, peux tu te présenter en quelques lignes ?

Laureine : Je suis Laureine Sautereau, j’ai actuellement 25 ans et je suis en dernière année à l’école Emile Cohl en section animation. J’ai déjà un diplôme en conception 3D précalculée passé à l’école de Créajeux à Nimes. Je souhaite me diriger soit dans le monde de l’animation, soit dans le jeu vidéo en tant qu’animateur pour commencer et pourquoi pas par la suite partir sur des postes un peu plus importants comme chara-design, voire le rêve absolu de devenir directeur artistique ou encore réaliser mon propre jeu ou film d’animation. J’adore les deux domaines.

Tu as donc un déjà un très grand bagage dans le domaine de la création. L’animation et le jeu vidéo restent malgré tout des domaines difficiles d’accès en France.  Penses-tu que les possibilités de travailler dans l’industrie restent limitées ici ?

Laureine : En France je pense qu’on peut difficilement progresser comme on le souhaite dans une carrière. Les salaires sont bas par rapport aux offres que l’on peut avoir à l’étranger et c’est ce qui pousse beaucoup de jeunes diplômés à partir du pays. Cependant la « french touch » est énormément recherchée dans le domaine et très apprécié. Du coup, les écoles françaises sont assez réputées.

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En parlant de « French Touch », on peut voir le développement de beaucoup de studios indépendants dans la création de jeux vidéo ici. Penses-tu que cette frange indépendante pourrait donner une forme d’évolution de l’industrie, dans les possibilités de création hors du circuit traditionnel ?

Laureine : Je pense sincèrement que cet engouement pour les studios indépendants redonne une fraîcheur à l’industrie du jeu vidéo. Même si les indépendants ont toujours existé, maintenant ils ont une réelle action grâce à l’apparition des campagnes de crowdfundings. C’est beaucoup plus simple, rapide et efficace pour récolter les fonds nécessaires à la création d’un projet et la visibilité est démultipliée. Cela nous permet de voir autre chose que la course des gros studios pour toujours plus de réalisme arrivant parfois même à nous faire douter si c’est une image réelle ou non.

Personnellement, je pense que si on choisi le média du jeu vidéo pour raconter une histoire, c’est parce que ce média permet quelque chose que tous les autres ne permettent pas. Tendre vers l’ultra-réalisme, cette course à la technologie pour faire croire à la réalité, n’a pour moi aucun intérêt si ce n’est d’essayer simplement de retranscrire le monde dans lequel on vit. Mais ça ne reste que mon avis bien sûr.

En rapport avec ton appréciation du jeu indé’, nous avons pu voir que tu as intégré un projet de jeu dans ce cadre il y a quelques temps : « Lynn and the Spirits of Inao » chez Bloomy Light Studio. Qu’est-ce qui t’as attiré vers ce projet ?

Laureine : Avoir l’occasion de faire un stage dans l’univers du jeu indé’ était pour moi une réelle chance et opportunité. En découvrant le site internet du projet Lynn and the spirit of Inao, j’ai été très attirée par le fait que ce soit un jeu en 2D et inspiré de l’univers de Miyazaki, autant d’éléments regroupés qui m’ont fait postuler pour ce stage. De plus c’était un stage de graphiste sur le jeu ainsi que d’animateur, ça tombait vraiment dans mes cordes.

Un belle opportunité qui s’est transformée en toute autre chose malheureusement. On a vu qu’il y avait de nombreux problèmes concernant les conditions d’emploi et de travail. Peux-tu nous décrire ce que tu as vécu, entre tes attentes en arrivant chez Bloomy Light Studio et ce qui s’est passé au final ?

Laureine : En tant que stagiaire je m’attendais à être accompagnée vers la professionnalisation. David Tollari, le créateur du studio Bloomy Light et donc du jeu  Lynn and the Spirit of Inao était mon maître de stage. Je pensais ressortir de cette expérience avec des compétences en plus, en ayant appris le fonctionnement interne d’un petit studio indépendant et les étapes de production dans la création d’un jeu.

Or ce qui suivi fut totalement l’inverse. Il y a eu en tout 5 autres stagiaires à mes côtés pour un seul maître de stage. J’ai découvert dès les premiers jours qu’aucun jeu n’existait, même pas une première version « playable », même pas un seul niveau. Il n’y avait que le côté création graphique et pour un studio qui travaillait sur le projet depuis 5 ans cela me semblait tout à fait anormal. En discutant avec les autres stagiaires, je compris très vite la supercherie. Les stagiaires se multipliaient pour produire un maximum de contenu pour le jeu sans jamais trop savoir dans quelle direction on allait. La trame scénaristique n’était pas sûre, les niveaux, le gameplay, rien n’était fixé, David avançait à tâtons sans savoir réellement ce qu’il voulait et c’était même à nous d’apporter les solutions et les idées.

J’ai même du apprendre à mon maître de stage certaines choses sur les logiciels sans parler du fait qu’il n’y avait aucune direction dans le travail puisqu’il se contente de nous le déléguer. Il avait un travail à mi-temps, donc la moitié du temps nous étions livrés à nous même pour avancer le plus possible dans les tâches qu’il nous donnait. Ensuite comme je l’ai témoigné il y eut bien d’autres actions totalement illégales au sein du studio

Il n’y avait alors de studio que le nom. Pas de gestion de projet, beaucoup trop de stagiaires pour un seul maître de stage… On a pu lire chez nos confrères qu’il n’y avait même pas de salaire pour des durées de stage supérieures 2 mois (ces points étant totalement illégaux, nous sommes bien d’accord). Pas vraiment de points positifs. Le lieu de travail était-il agréable au moins ? *rires*

Laureine : Lors de notre entretien il m’avait parlé de la team de 5 personnes qu’il présente notamment sur le Kickstarter. Je pensais les rencontrer, apprendre avec eux, bref m’enrichir comme ce qu’est censé offrir un stage mais la seule personne que j’ai vu c’est David Tollari. La société indique 0 employé, il est très simple de le vérifier sur des sites officiels comme société.com où l’on peut voir les statuts de toutes les sociétés françaises. Il n’avait donc même pas le droit de prendre ne serait-ce qu’un seul stagiaire.

Sans parler du fait de la non rémunération pourtant obligatoire au bout de 2 mois, mais surtout un papier, le seul que les stagiaires non pas en duplicata, qu’il nous faisait signer à la fin indiquant qu’on attestait avoir bien reçu la somme des salaires pour la durée de notre stage. Quant au lieu c’était chez lui dans son appartement, ce qui en soit ne me dérangeait pas. En tant qu’indépendant, on n’a pas forcément le budget pour avoir un bureau.

Mais entassés à 5 dans un salon/chambre/cuisine de 20m², dans une chaleur étouffante (l’été à Aix En Provence, c’est environ 38 degrés minimum), ce n’était pas ce qu’on pouvait appeler des conditions agréables. Mon ordinateur a bien failli y passer à cause de la chaleur d’ailleurs, mon disque dur externe à grillé et j’ai perdu une partie du travail que j’avais effectué là-bas. J’ai bien demandé à maintes reprises poliment à David s’il pouvait me les repasser, mais il se disait trop occupé ou ne répondait tout simplement pas.

Vu le tableau, on peut plus parler d’exploitation que de stage *rires*. Tu es récemment sortie du silence pour mettre en lumière tout cela, qu’est-ce qui t’as motivé à entamer cette démarche et pourquoi maintenant ?

Laureine : Je ne voulais pas le faire après le Kickstarter, les gens auraient investi, ça aurait été terrible pour eux d’apprendre ça et comme ça je prouve bien que je ne fais pas ça pour l’argent ! A la base quand je suis sortie de ce stage j’étais vraiment fatiguée et découragée, j’ai d’ailleurs arrêté celui-ci 2 semaines plus tôt car mon médecin m’avait arrêté. Je n’en pouvais plus, j’avais absolument pas envie de me lever le matin pour aller chez lui. Du coup à la fin je me suis dis « Oublie, c’est pas grave ce fut un échec mais au moins tu seras avertie et tu recommenceras plus ». Seulement quand j’ai vu ce Kickstarter sans aucun de nos noms (on parle de plus d’une vingtaine de stagiaires qui ont témoigné avoir vécu la même expérience voir même parfois pire que la mienne), quand j’ai vu tous ces gens mettre leur argent dans une vidéo mensongère qui nous faisait clairement croire à du temps réel, je n’ai pas pu cacher la vérité, je devais parler et expliquer l’envers du décors

Une initiative difficile. Au final, on a vu que l’impact sur la campagne Kickstarter était monumental : retrait des backers, annulation du projet… Les choses semble « rentrer dans l’ordre » même si le mal est fait. Après toute cette histoire, tu as un nouveau projet en vue dont tu voudrais nous parler ?

Laureine : C’est toujours difficile d’avouer des pratiques illégales et malhonnêtes. Je ne suis pas une personne qui prend du plaisir à descendre les autres ou à anéantir leur vie/carrière loin de là ! Mais j’ai un énorme respect pour la vérité et l’honnêteté, parfois ça m’a joué des tours. La vérité est dure à dire comme dure à entendre, seulement là on parlait d’argent de publics et d’une pratique qui durait depuis maintenant 5 ans. Je ne regrette pas, j’ai raconté mon histoire et elle a touché la communauté.

L’impact et le buzz qu’il y a eu est simplement du au fait que ce témoignage a touché les gens et que beaucoup s’y sont retrouvés. C’était comme un coup de gueule face à la condition générale des stagiaires en France finalement.
Pour l’instant je finis mon année d’étude et je suis dans la finalisation de mon court métrage d’animation 2D pour mon diplôme où je vais devoir passer devant un jury de professionnels. Ensuite ce sera pour moi le grand saut dans le monde professionnel, je recherche donc du travail dans le domaine aussi en parallèle.

On espère que tu vas trouver rapidement ! N’hésite pas à nous faire part de tes futurs travaux ! Pour finir sur une note légère, peux-tu nous donner ton jeu et film/animé favoris ?

Laureine : Merci ! Je suis actuellement en train de refaire mon site internet, en attendant il y a toujours l’ancien et ma page fb. Mais à vrai dire le plus gros morceau à venir reste mon film dans lequel je mets beaucoup de passion et de cœur.

Mon jeu préféré ? ça va être compliqué *rires*. Avant j’aurai dit Final Fantasy 7 sans hésiter, mais maintenant il y a la trilogie de The Witcher qui le détrône presque, je dirai qu’ils sont à égalité.

Pour le film animé, là c’est sans hésiter Le Roi Lion, c’est ce film qui a déclenché chez moi à l’âge de 4 ans cette envie de carrière. Mon grand-père m’avait emmené le voir 6 fois au cinéma à l’époque en 1994 tellement j’étais fan ! Et quand j’ai compris que c’était le métier de certaines personnes que de réaliser des films comme ça, j’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais faire, c’était une évidence.

Merci encore pour le temps que tu nous as accordé, en espérant entendre de tes nouvelles bientôt !

Voilà pour ce premier numéro de Play Break. En espérant que cela vous a plu, je vous donne rendez-vous prochainement pour un nouveau focus ! Pour patienter, allez donc jeter un œil aux travaux de Laureine sur son site et sa page Facebook.

Propos recueillis par Julien D. pour Eklecty-City.fr, qui remercie Laureine Sautereau pour s’être prêtée au jeu d’une interview.

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Julien
Julien
Travailleur anti-protocolaire dans la recherche vidéoludique, dessinateur à ses heures perdues. Inconditionnel de Masamune Shirow.

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