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[CRITIQUE] Sing Street : Un film écrit comme une chanson

Film sur l’inspiration, Sing Street s’ouvre sur un moment d’improvisation au chant et à la guitare. Connor, un adolescent de quinze ans, assiste à une terrible scène de dispute entre ses parents. Il les écoute d’une oreille, récupère les insultes à son propre compte, et les ré-injecte dans le rythme des cordes.

Cette imprégnation de l’environnement direct du personnage, en vue d’en retirer une matière à composer, constituera la structure et le rythme de l’histoire, qui s’appuie sur de constants va-et-vient entre les expériences vécues par le héros, et la création issue de cette matière.

L’effet lance-pierres

L’intrigue prend place à Dublin au milieu des années 80. Connor, le plus jeune d’une modeste famille de trois frères et sœur, s’apprête à entrer en école catholique, dans un établissement connu pour frapper ses étudiants afin d’en « faire des hommes ». Il sera d’ailleurs récurrent dans le film que les adolescents du groupe soient traités de « pédés », eux et leur musique. Ce mot, « fagget » en Anglais, sera matraqué aux oreilles de Connor, de la part d’une société montrée comme hyper-conservatrice et quelque peu dégénérée.

Tout aussi contraint par sa vie familiale que par sa vie de classe, le jeune homme rêve de se libérer par la musique. Au fur et à mesure de ses rencontres, il montera enfin son propre groupe de musique, les « Sing Street« , qui lui permettra d’entrevoir de nouveaux horizons, et d’exorciser les tourments peuplant son quotidien.

Entre le cinéma social de Ken Loach et le feel-good movie, le film est toujours élégant dans la peinture qu’il fait de la société irlandaise de l’époque. Tout se joue sur la petitesse du cadre, limité à seulement quelques rues, quelques maisons, à cette fameuse école (petite aussi, on y croise toujours les mêmes visages), ainsi qu’une petite crique où le personnage revient régulièrement, rêve d’y prendre le large pour Londres, capitale mondiale du rock’n’roll.

L’horizon limité de ces quelques rues de Dublin, ajouté à l’étroitesse d’esprit de ses habitants, n’auront de cesse d’alimenter Connor dans son processus créatif, et contribuera à briser les murs physiques et symboliques qui le compriment.

Nostalgie et transmission

La culture musicale, le goût pour les vinyles, les grands clips psychédéliques et saturés de couleurs de l’époque, sont aussi au cœur de l’intrigue, et abordés sous l’angle de la transmission. Le grand frère du héros, Brendan, passera des nuits à lui inculquer les grands mouvements du rock, à coups de sessions d’écoute des grands classiques. Une époque où un album constituait encore un événement, l’occasion de tout arrêter, de visser son cul sur un siège de la première à la dernière note.

A cet égard, John Carney, réalisateur et compositeur de ses films (qui parlent d’ailleurs tous de musique – Once, New-York Melody), semble raconter sa nostalgie pour cette époque où tout semblait possible avec un peu d’audace, ainsi que sa profonde admiration pour la noblesse des mélomanes, qui semblaient écouter les artistes comme on lirait des poètes. Une approche noble et précieuse que l’auteur cherche à nous transmettre, peut-être à réhabiliter, à l’image de ce grand frère idéaliste, dont la marginalité tend à le pointer du doigt comme une espèce en voie d’extinction.

Dans les pas des grands

Dans le parcours initiatique d’un rockeur en herbe, il est difficile de passer outre la source d’inspiration qui aura permis aux plus grands d’écrire leurs plus illustres chansons: la figure de la muse. Il y en a une dans Sing Street bien sûr, aussi belle et sauvage qu’on puisse l’espérer. Profitons de cet exemple d’ailleurs, pour parler de l’un des aspects les plus intéressants ici. En effet, le film part de situations communes et connues – ici le coup de foudre- et s’affaire à les transformer en moments décalés, en tout cas mis en perspective, qui constitueront à la fois l’humour cocasse du film, et le ciment de l’esprit chez Connor .

Cette impression vient en effet de la volonté du jeune héros de mimer le parcours de ses idoles, à vouloir marcher dans leurs pas. L’on ressent toujours ce moteur sous-jacent à chaque décision prise, même lorsque l’adolescent traverse une étape décisive.

La musique est un sanctuaire où il se sent en sécurité, mais aussi une usine bien particulière, où chaque épreuve douloureuse est broyée, raffinée et recyclée en tube.

La muse, donc, est perçue à travers ce même mimétisme, apparaissant telle une nymphe des rues à la sortie de l’école. On ne doute pas une seconde de la sincérité du héros envers cette jeune femme, dont il tombe éperdument amoureux au premier regard. Mais au même moment, l’on sait qu’il y perçoit une opportunité supplémentaire de faire « comme les grands ».

Auteur-compositeur

On pourrait trouver le film faible au premier abord, en manque d’ambition, en tout cas en manque de cinéma. Peu d’invention dans la fabrication des plans en eux-mêmes, en ce que chacun semble assurer le service minimum de compréhension du scénario. Mais le recul aidant, l’on se rend compte que c’est bien l’approche musicale qui intéresse John Carney, aussi bien dans ses sujets que dans sa façon de raconter les films. Le montage, en ce sens, est révélateur d’un sens de l’équilibre entre les ingrédients, d’un mélange précis dans la façon de diluer quelques notes d’humour au milieu d’un lourd refrain social. Et parfois, à l’apogée d’une séquence survoltée, une coupe franche nous amène à partager un moment de quiétude dans un paysage isolé.

C’est dans cette pensée de l’objet global, et dans cette approche très fine du rythme et des différents instruments émotionnels, que l’auteur parvient à nous faire partager son goût pour la musicalité, à toutes les échelles.

Immense mise en abîme de la musique donc, et plus précisément du processus créatif du musicien, Sing Street est lui-même un film moins écrit que composé. Un film de compositeur, en somme.

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Arthur
Arthur
Chroniqueur lunaire et fervent croyant aux forces primitives du cinéma, il considère l'expérience d'un film comme un voyage à l'intérieur du cerveau de son créateur.

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