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[CRITIQUE] Nerve : Un smartphone décroche le 1er rôle

Le cinéma connecté faisant le commentaire des nouvelles technologies a de beaux jours devant lui, et peut se permettre, à moindre échelle, de faire de la science-fiction dans un quasi temps présent. C’est toute la force de cette proposition, cette idée que nous sommes d’ores et déjà en plein cœur d’une transition révolutionnaire. En cela, il suffirait simplement d’observer cette donnée si soudaine et spectaculaire du seuil de sa porte, pour se croire propulsé dans un roman d’anticipation.

Vision à court terme

Cette proximité avec l’actualité constitue le fer de lance du projet co-réalisé par Ariel Schuman et Henry Joost.

Inutile de se projeter dans le siècle prochain pour observer le potentiel monstrueux du smartphone, il suffit en réalité d’une pichenette vers le lendemain, tant l’époque nous place déjà à l’aube de cette probabilité.
Auteurs des opus 3 et 4 de Paranormal Activity, ainsi que d’un documentaire, les deux réalisateurs inséparables combinent dans Nerve les deux obsessions qui semblent hanter leur cinéma : d’une part, le commentaire de société (la proposition documentaire) et d’autre part, l’interaction entre l’humain et la technologie.

Dans le found-footage par exemple, la caméra fait partie intégrante de la narration, manipulée par les comédiens, et devient souvent l’acteur principal du film qui l’introduit. Dans Nerve, le smartphone détient cette même fonction, en tant qu’objet et médium à l’intérieur de la fiction : il interagit avec les acteurs de chair, leur permet de communiquer entre eux, et même – on va le voir – s’adresse à eux directement.

Génération Y (ou Z)

Vee, adolescente réservée en passe d’entrer à l’université, découvre l’existence d’une application pirate par le biais de sa meilleure amie. Version monstrueuse, pot-pourri de nombreuses applications déjà existantes, ce jeu propose aux participants de relever des défis de plus en plus osés dans le monde réel et ce, dans le but de récolter de nombreux viewers (assistant en direct aux défis via la caméra intégrée au smartphone des participants), et d’obtenir des récompenses en dollars à la hauteur du challenge.

Dès la première image du film, le découpage vise à nous montrer la porosité entre les appareils connectés et les personnages. Toutes les interactions semblent transiter par le biais d’un ordinateur ou d’un téléphone, comme une prolongation, voire mutation, du corps adolescent.

L’héroïne elle-même rêve de travailler dans le web-design, projette son avenir derrière un écran. Belle entrée en matière car le film épouse parfaitement cette idée d’un point de vue formel. Des effets de transparence notamment, donne à voir le personnage du point de vue de l’ordinateur.
En plus d’offrir des images où l’affichage numérique se retrouve mélangé à la chair, la surface du verre semble soudain fragile, fine, au point qu’il suffirait peut-être de plonger sa main à l’intérieur pour empoigner sa fenêtre Messenger.

A l’apparition de Nerve, le fameux jeu pirate, le film prend un virage assez prévisible. Mélange d’un teen-movie, de littérature pour ado, ainsi que d’une pointe de slasher, la jeune Vee est d’emblée montrée comme l’éternelle fausse coincée/impopulaire du coin. Le jeu lui permettra évidemment de montrer ce qu’elle a dans le ventre, de réhabiliter son ego vis-à-vis de l’irremplaçable copine sexy et vulgaire, et forcément cheerleader de l’équipe du lycée.

Le concept du film, articulé autour de l’application, apparaît alors comme une lampe magique génératrice de premières fois pour l’héroïne, lui offrant l’opportunité de réaliser tous les interdits. La grande idée consiste finalement à dire que l’action, le geste, perd sa valeur en soi. Il ne trouve de motivation qu’à partir du moment où celui-ci se retrouve vu, reconnu, partagé et médiatisé.
A cet égard, le médium (le smartphone) devient tout naturellement l’instrument du diable. Les concepteurs du jeu restent en effet invisibles du début à la fin, comme une espèce de réécriture dématérialisée de Duel, où l’on ne verrait toujours que l’instrument, mais jamais son propriétaire.

De là, le film se construit comme un film à suspense classique, sur la base d’une gradation dans la tension. Et c’est avec gourmandise que le scénario multiplie les séquences angoissantes, en prenant soin de s’appuyer sur tout ce que le web a pu nous offrir de viral ces dernières années : passer sous un train, se suspendre dans le vide sans aucune sécurité, virée en moto avec les yeux bandés etc.

De l’autre côté de l’écran

A l’issue du visionnage, il est clair que les auteurs ont bien fait leur travail. Exhaustif, juste sur la génération dépeinte, lucide sur les mutations des sociétés modernes, et parfois intelligemment mis en scène, Nerve est un film maîtrisé.
Malheureusement, il lui manque quelque chose d’essentiel, qui se manifeste ici par une certaine fadeur. Malgré la réelle originalité du concept, et l’intelligence avec laquelle il déroule son programme, le film n’arrive jamais à filmer correctement les affects, ni à transcender la psychologie bubble-gum du teen-movie.

Il aurait été réjouissant de voir les réalisateurs s’affirmer réellement sur cet aspect, de chercher à s’immiscer dans leur peau avec autant de ferveur que celle employée à pénétrer la surface des écrans.

Sans aller jusqu’au cynisme d’un grand film de Verhoeven, où tout s’effondre au détour d’un demi-sourire bien placé, il aurait tout de même été possible que la figure adolescente trouve un traitement plus singulier qu’un simple remix de tout ce qu’on a pu voir de moins inspiré ces vingt dernières années.

De cette désincarnation subsiste malgré tout un sentiment intéressant. C’est un peu comme si le film, à l’instar des protagonistes, se retrouvait lui-même hypnotisé par un smartphone, trop fasciné par l’étendue de ses pouvoirs.

Il en résultera donc, au sortir de la salle, le sentiment d’avoir assisté à la peinture d’un monde étrange où l’instrument a fini par instrumentaliser son propriétaire, un monde de l’autre côté de l’écran, où la technologie est devenu le fleuve dans lequel la chair s’est dissoute, comme un cachet d’aspirine.

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Arthur
Arthur
Chroniqueur lunaire et fervent croyant aux forces primitives du cinéma, il considère l'expérience d'un film comme un voyage à l'intérieur du cerveau de son créateur.

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