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[CRITIQUE] Black : de cœurs et de flammes

Film de gangs au cœur des rues bruxelloises, Black est réalisé par deux jeunes flamands, Adil el Arbi et Bilal Fallah, respectivement âgés de seulement 30 et 27 ans.

C’est en fait un deuxième film si l’on s’en réfère à la filmographie uniquement, mais de leur point de vue à eux, un premier film de cœur. Adaptation du roman éponyme de Dirk Bracke (romancier flamand peu connu en France), ce projet leur tenait au ventre depuis de nombreuses années, et les deux prodigues ont dû attendre d’acquérir l’expérience nécessaire dans le milieu cinématographique pour espérer accomplir leur rêve.

La vitalité du premier film

C’est chose faite aujourd’hui, et il ne faudra pas tenir compte de la censure dont le film est victime auprès des distributeurs français, le condamnant (un peu comme le Made In France de Boukhrief) à une seule sortie VOD, faute à un sujet trop délicat, ainsi qu’à un traitement trop violent. Disent-ils.

Alors oui, le film est extrêmement cru, tant dans la peinture sociale qui est faite de cette jeunesse perdue, que graphiquement à proprement parler. Mais il ne faut pas se méprendre, car loin, très loin d’un film simplement polémique sur les violences provoquées par des minorités issues de l’immigration (le fameux sujet sensible), le film traite en fait de l’incroyable vitalité d’une certaine jeunesse, la même que Nicolas Ray dépeignait dans la Fureur de Vivre.

Comme dans Roméo et Juliette, il y a deux clans. Sauf qu’ici, ce ne sont pas deux familles, mais deux gangs : les 1080 d’un côté (le gang des marocains) et les Black Bronx de l’autre (le gang des congolais).
La ville de Vérone, qui était l’arène opposant les deux familles dans la tragédie de Shakespeare, se transpose sur la ville de Bruxelles.
Le Roméo, c’est Marwan, membre des 1080, le plus débrouillard et fanfaron de son groupe.
La Juliette, c’est Marvela, jeune femme à la personnalité bien trempée, récemment admise dans le gang des Black Bronx par le biais de son cousin.
Inutile de vous expliquer la suite, tout le monde connaît l’histoire.

Le risque inhérent à la transposition d’un classique dans le monde contemporain, c’est de sombrer dans la ringardise, de perdre complètement pied avec ce qui constitue le ciment de l’esprit chez ces jeunes. C’est-à-dire, osons le dire comme ça, faire un film à côté de la plaque.

Fort heureusement, il n’en est rien. Loin d’être mis en scène comme la tragédie attendue, Black ne déploie jamais de point de vue surplombant – et donc plombant – sur les trajectoires des personnages peuplant le film. Au contraire, c’est avec une foi et une radicalité bouleversantes, que les deux réalisateurs décident de se placer au plus près de la rue et de la musique, au cœur d’un brasier qui menace de prendre feu à chaque carrefour.

Un sentiment d’insécurité plane en effet sur le film, une incommunicabilité avec le « monde traditionnel » aussi. Autant jamais l’on aura pu goûté à l’atmosphère « street » de la capitale belge avec tant d’incarnation, autant paradoxalement, l’on sera resté si distant de ses habitants.

Une séquence nous montre d’ailleurs très clairement le regard des gangs sur les citadins, dans une séquence où Marwan se fait arrêter par des policiers au milieu de la rue. Les passants s’arrêtent, et dégainent leurs smartphones et tablettes. Idée très maligne, car c’est une occasion d’enlever les visages, de tronquer la rondeur par la rectangularité inhumaine des ipads.

Et tout le reste du film restera fidèle à cette idée, tant la foule des quartiers restera non figurative, au mieux spectatrice de l’arène dans laquelle les lions se sautent à la gorge.

Génération carpe diem

Le deuxième point où le film parvient à nous faire ressentir – et non pas décrire – la marginalité, c’est à travers le traitement du temps. En effet, ce qui semble définir – que ce soit chez les bronx ou les 1080 – le mode de vie de ce petit monde, c’est l’absence d’horizon lointain. Le film lui-même s’engouffre régulièrement dans des labyrinthes urbains, des suites de rues exiguës, des zones en travaux, des escaliers aux marches cintrées, dans lesquels les personnages semblent courir et se débattre. La valeur et le plaisir de l’existence résident toujours dans l’instant. Il suffira d’ailleurs à Marwan d’être amoureux de Marvela pour laisser tomber sa petite amie d’avant, sans amertume ni ressentiment. Il incitera même l’un de ses amis à prendre sa place, tant l’évidence de l’instant nouveau efface constamment celui d’avant.

C’est un monde où les pulsions et les instincts règnent, où tous les enjeux et rebondissements semblent se tisser au fur et à mesure, sans objet particulier. A cette image, les pulsions violentes, qu’elles soient sexuelles ou dû à un sentiment d’appartenance, s’inscrivent elles aussi dans la mouvance carpe diem du film.

Le temps d’un regard

On l’a dit tout à l’heure, l’immense prouesse formelle se situe dans l’échelle adoptée, clairement empathique, pour ces jeunes fauves des quartiers.
Si certaines démarches antagonistes – mais tout aussi radicales – se révèlent être particulièrement agaçantes, comme peuvent l’être certains films bobo-sociaux, qui étudient leur sujet au télé-objectif du haut de leur belle terrasse du XVIème arrondissement, il y a aussi le risque de tomber dans un excès de proximité. A défaut d’être à côté de la plaque, on peut aussi se retrouver à avoir le nez dans la merde.

Une nouvelle fois, Black parvient à esquiver toutes les embûches, à l’image de ces courses poursuites, où chacun semble connaître son environnement de manière innée.
Avec ce même naturel, et cette même vitalité que les personnages qu’ils affectionnent tant, Adil el Arbi et Bilal Fallah se permettent de prendre un peu de hauteur sur leur sujet le temps d’un regard, précisément quand les conditions d’existence des protagonistes ne le permet pas.

On pense à cet instant où Marvela, perchée sur un escalier greffé à la façade d’un immeuble, semble projeter sa difficulté à prendre du recul et à faire ses propres choix, au milieu d’une rue encombrée où le soleil est absent, l’horizon bouché.

Il y a aussi cette cathédrale abandonnée que découvre Marwan, cachée derrière barrières et échafaudages, qui deviendra le temple de leurs retrouvailles, le seul endroit où ils pourront enfin être eux-mêmes et consumer leur passion, loin des déterminismes de la rue.

C’est dans ces moments que Black explose et transfigure le cadre du film de genre « violent » et « dangereux » qu’on aimerait lui attribuer.
Cette idée que derrière les façades décrépis se cachent des trésors, que des derrière des entités belliqueuses se cachent des consciences. Les auteurs parviennent alors à ne jamais condamner, à même offrir la liberté à des héros prisonniers.

C’est dans cet intervalle fragile que l’on perçoit enfin, l’espace d’une seconde, la valeur universelle et intemporelle d’un regard amoureux.

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Arthur
Arthur
Chroniqueur lunaire et fervent croyant aux forces primitives du cinéma, il considère l'expérience d'un film comme un voyage à l'intérieur du cerveau de son créateur.

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